L’Étranger (III)
Et ils m’ont acquitté. Ne me demandez pas pourquoi ; je ne saurais vous dire. Même mon avocat a paru surpris. Il m’a serré la main d’une poigne glaciale et il est parti, après m’avoir rappelé le montant de ses honoraires.
J’ai donc décidé de retourner au magasin, pour acheter un nouveau blog. Cette fois, j’en prendrais soin. La vendeuse, lorsqu’elle m’a vu arriver, a ri jaune. Un beau jaune citron qui allait ton sur ton avec son fond de teint Créateurs de Beauté. Elle a pris le blog que je lui montrais du doigt, et l’a emballé dans un joli papier journal saumon tiré du Financial Times de l’avant-veille.
Mathilde, elle s’appelait. C‘était écrit en lettres dorées sur le badge qu’elle arborait négligemment au sein gauche et rond. Ses mains ont tremblé au moment de poser le dernier bout de scotch, et, la voix cassée, elle a demandé : « C’est pour offrir ? » J’ai hoché de la tête. C‘était pour moi. Mais cette fois, j’allais en prendre soin.
Le premier jour, tout s’est passé pour le mieux. J’ai suivi les instructions à la lettre et le blog s’est mis en ligne sans problème. J’ai alors commencé à jouer avec en postant des insanités. Mon mal de net ne s‘était pas dissipé ; il restait, diffus, confus, et me tournait le bide dès que je lui prêtais un peu attention.
Puis, le deuxième jour, il a commené à jaunir. J’ai parlé de Mathilde, j’ai parlé du procès, mais le blog restait impassible, comme résigné, en proie à un spleen sans nom, contaminé par mon Netweh. Les craquelures sont apparues le troisième jour. Désespéré, j’ai posté tant et plus. J’ai déversé tout le désarroi de mon âme dans ses entrailles, qui ont englouti sans mot dire, jusqu‘à la dernière goutte. J’ai parlé longuement de Mlle Myrtille, le clavier rendu poisseux par les larmes. Vers 21 h, j’ai distingué les premiers signes de flétrissement.
Puis, les jours qui ont suivi, le blog a continué à se ratatiner, à se raccornir. D’abord imperceptibles, les fissures ont enflé, laissant entrevoir des viscères nécrosés. Mon blog se mourait.
C’est le 23ème jour que le blog, au petit matin, est resté inerte. Il s‘était autolysé en silence pendant la nuit, accablé et épuisé. Et en regardant sa carcasse flétrie, méconnaissable, j’ai compris que ça n’en valait plus la peine. Et en pensant à Mlle Myrtille et à Mathilde, j’ai sauté par la fenêtre, du troisième étage. Ça a fait comme un bruit sourd, quand ma tête a explosé sur le macadam. ¶
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